Fils de la Terre - 1ère partie - Génésia - 3
Génésia
III
Comme chaque fois qu'un humain disparaissait de la surface de la Terre, Dieu le recevait en compagnie d'Heyoan l'Archange et d'Orsia l'Ange, qui avaient assisté en privilégiés à la Création de l'âme humaine.
Depuis cette première fois où Dieu lui avait expliqué ce qu'elle aurait à faire sur Terre, avant d'incarner un homme et une femme pour qu'ils donnent eux - mêmes naissance à de nouveaux humains, Dieu portait beaucoup d'attention à ces moments intenses, où l'âme devait bien prendre conscience qu'elle abandonnait une enveloppe charnelle, avant de décider quoi que ce soit.
L'âme qui paraissait aujourd'hui devant Lui avait été féminine durant son passage sur Terre. Elle se nommait alors Génésia. Elle semblait apeurée, malgré le sourire que Dieu lui adressait et la compassion des Anges.
Elle ne comprenait pas l'erreur qu'elle venait de commettre. Elle était sûre d'avoir pris soin que le foyer ne s'éteigne pas, comme c'était son rôle dans la tribu depuis qu'elle avait découvert cette drôle de chose, à la fois dangeureuse et follement utile qu'était le feu. Elle était respectée pour cet acte qui faisait d'elle une célébrité dans son monde. Certes, sa tribu n'était composée que d'une dizaine de couples, de quelques vieillards et de plusieurs enfants...
Que devenait Sarük, son fils ? Il fallait qu'elle aille s'occuper de lui. Prête à partir, elle sursauta en entendant une voix profonde derrière elle. Elle ne la reconnaissait pas plus que l'apparence de ce chef de tribu, mais ce qui était sûr, c'est qu'il l'impressionnait au point d'avoir envie de fuir tout de suite et de retrouver son petit, qui devait avoir faim à cette heure...
Elle chercha machinalement à calculer l'avancée de la soirée grâce à la course du soleil... Il lui restait à préparer la cérémonie du Feu pour la réunion d'été, qui rassemblerait tous les clans de la région. Elle se réjouissait à l'idée de retrouver Sierenk, le jeune homme qui lui avait plu dès leur première rencontre.
Pas très grand, brun, musclé... En tout cela il ne différait guère des autres hommes qu'elle connaissait. Seul son regard était extraordinaire. Il était le seul homme qui avait les yeux bleus. D'un bleu pâle, bordés de longs cils noirs, accompagnés d'un sourire éblouissant qui donnait à son regard toute une douceur qu'elle n'avait jamais soupçonnée auparavant et qui la laissait tremblante.
Il était habile au troc, c'est pourquoi les autres membres de sa tribu l'avaient encouragé à ne pratiquer la chasse que pour se nourrir, avec ses compagnons de route, et non pour contribuer à nourrir tout le clan. Il était bien plus utile en proposant l'argile qu'il avait appris à sécher pour la rendre plus légère au transport et qu'il offrait aux tribus qui n'avaient pas la chance d'en posséder dans leur camp d'hiver. En échange, il rapportait toutes sortes de trésors que sa tribu ne trouvait pas sur place, ou qu'elle ne savait pas encore fabriquer. Il n'était pas rare qu'il rapporte quelque secret de fabrication qu'il communiquait à ceux qui, comme lui, ne rêvaient que d'apprendre.
Elle s'était fait très mal, avant de se retrouver devant ce curieux chef de tribu qu'elle ne connaissait pas. Elle devait se débrouiller pour arriver jusqu'à son abri, où elle gardait toujours précieusement un bol d'argile préparée avec de l'eau pour les soins d'urgence. L'argile était merveilleuse, elle soignait presque tout : de la plus petite égratignure aux traumatismes et aux blessures les plus sauvages. Oui. Quand elle aurait soigné sa blessure, elle pourrait donner à Sarük son bol de graines cuites dans l'eau et une cuisse de lapereau qu'elle avait fait braiser à son intention. Ensuite, elle pourrait commencer à organiser la cérémonie pour la réunion d'été avec son amie Triska.
Dieu assistait avec intérêt à tout ce qui se passait dans cette âme préoccupée. Visiblement, elle n'avait pas saisi l'ampleur de l'événement qu'elle venait de subir.
- Sais - tu où tu es ? Lui demanda Dieu pour la mettre sur la Voie.
- Cette fois, Génésia prêta attention à ces mots. Un peu effrayée, elle répondit :
- Je ne te connais pas. De quelle tribu viens - tu ? Tu es en visite ? En voyage ? Peut - être souhaites - tu participer à notre réunion d'été ?...
- C'est toi qui es en voyage, lui dit le Maître de toutes choses, doucement.
Elle rit.
- Je ne vais guère plus loin que la forêt où je cueille les racines et les herbes avec les femmes de la tribu depuis bien longtemps !
Elle se perdit dans ses pensées. Dieu l'observait attentivement.
- Te voilà bien soucieuse. Ne t'inquiète pas pour la cérémonie, la petite Triska que tu as parfaitement formée saura te remplacer au pied levé.
Une immense onde de surprise traversa l'âme de Génésia, que Dieu perçut avant même qu'elle ne la ressente. Il ne lui laissa pas le temps d'intervenir et enchaîna :
- Ne t'inquiète pas non plus pour Sarük, ton fils. Ta mère, Triska et ton ami Sierenk suffiront à lui apprendre tout ce qu'il doit savoir pour survivre et pour sa vie sociale. Quant à Orsia que voici...
Il fit un geste en direction de l'Ange qui s'inclina gracieusement.
- Il veillera sur sa conscience et sur sa vie spirituelle, sur son âme si tu préfères... A chaque instant. Mais rien n'obligera Sarük à le croire, s'il ne le souhaite pas.
Génésia était maintenant passée bien au - delà de la surprise. Une foule de questions se bousculaient en elle en arrière - plan, mais le sentiment qui s'imposait désormais à elle était celui d'une exclusion injuste et insupportable de son monde. Elle se rebella :
- Qui es - tu pour me donner de tels ordres, pour m'évincer des tâches qui font toute ma vie, et pour me séparer des miens ?
- Il suffit que tu jettes un coup d'oeil sur ton apparence, et tu comprendras...
Pour la première fois, elle ne put baisser la tête et voir... Elle se crut aveugle.
- Touche - toi, suggéra Dieu.
Elle ne le put. Une bourrasque de panique la souleva.
- Tu n'es plus sur Terre. Tu as quitté ton corps. Tu es devant Dieu, dit doucement l'Archange Heyoan. Tu n'es pas devenue folle, la prévint - il encore. Simplement, tu n'étais pas du tout préparée à ce qui t'arrive. Ce Feu que vous vénérez durant vos cérémonies, n'est qu'une toute petite partie de Dieu, le Créateur de toutes choses, que l'on appelle aussi le Tout - Puissant.
Elle voulut tomber à genoux, dans une attitude de vénération qu'elle avait apprise pour marquer sa déférence au Feu. Elle pensait ainsi l'implorer de ne jamais s'éteindre, car personne ne savait le rallumer parmi les humains qu'elle connaissait. Ils savaient juste le recueillir, quand ils en avaient la chance, puis l'entretenir, ce qui lui demandait beaucoup d'attention et lui valait une place d'honneur parmi les siens. Elle ne put s'agenouiller, et sut que c'était à cause de la matière dont elle était faite à présent.
Dieu, dans un élan de compassion, lui expliqua :
- Ne t'inquiète pas non plus à mon sujet. J'ai compris que tu voulais me témoigner du respect. S'il est vrai que j'ai créé le monde, sache que je l'ai fait parce que j'avais de l'Amour à revendre et que je n'avais personne à qui le donner. Un Dieu solitaire est un Dieu inutile... Tu n'as pas besoin d'avoir peur de moi, je ne suis pas un chef de tribu. Tu peux me dire tout ce que tu as sur le coeur, je suis là pour ça.
Si elle avait pu écarquiller les yeux, Génésia l'aurait fait. Cependant, elle n'avait pas dompté les caprices du Feu qui risque à tout instant de s'éteindre si on n'y prend garde pour se voir priver de sa vie sans avoir son mot à dire. Elle ne se laisserait pas berner si facilement !
- Si j'ai bien compris, les miens s'apprêtent à m'entourer de mes outils, de mes fétiches, de mes plus belles tenues, de mes plus belles parures et des meilleurs mets afin de faciliter mon voyage vers l'Inconnu, avant de m'enfermer dans une grotte. Comment se fait - il que je n'entende pas leurs chants d'accompagnement ?
- C'est déjà fait. Dans ton monde, il y a trois nuits que la cérémonie dont tu parles s'est déroulée, répondit Dieu.
- Qu'est - ce que j'ai fait durant tout ce temps ?
- Tu dois comprendre qu'ici, le temps n'a pas de sens. Tu n'étais pas tout à fait prête...
- A quoi ?
- Disons que tu ne t'attendais pas du tout à mourir, ce qui fait que lorsque cela t'est arrivé, tu ne l'as pas accepté.
- Qu'ai - je fait ?
- Tu as erré sur Terre en essayant de communiquer avec ton fils, ta famille, tes amis... Comme personne ne pouvait te voir ni t'entendre, tu as voulu t'accrocher à l'âme de ton fils...
- Que dis - tu ?
- C'est un peu comme si tu voulais vivre encore à travers lui.
- Que s'est - il passé alors pour lui ?
- Il s'est tout à coup senti horriblement lourd, comme s'il pesait double. Il s'est montré plus abattu que tous les autres parce qu'il ne pouvait plus vivre pour lui - même, sans le savoir.
- C'est normal de pleurer sa mère qui vient de disparaître subitement. Surtout quand on est si jeune...
- Ca l'est moins de pleurer à la fois cette disparition et la sienne...
- Pourquoi dis - tu qu'il avait disparu lui aussi ?
- Parce que tu ne lui permettais plus d'être lui - même en t'accrochant à lui. Il devait uniquement porter ton fardeau et n'avait plus de conscience personnelle.
- C'est terrible ! Combien de temps cela a - t - il duré pour lui ? Pourquoi ça s'est arrêté ?
- Ha !... Le temps... soupira Dieu. Il prit son temps - il pouvait se le permettre, Lui - avant de répondre à Génésia :
- Cela a duré trois nuits. Je sais que tu sais compter jusque là.
- Oui, dit - elle, mais c'était plus facile quand j'avais des doigts...
Les Anges qui assistaient à l'entretien sans intervenir échangèrent un coup d'oeil attendri. Dieu donna la parole à Heyoan :
- Pourquoi cela s'est arrêté ? Uniquement grâce à toi.
Dieu reprit :
- Je suis l'Auteur de toute créature, mais j'ai aussi voulu que les humains aient la capacité d'évoluer par eux - mêmes. Qu'ils soient créatifs, eux aussi...si tu veux, ou qu'ils aient un libre - arbitre.
Dieu se reprocha d'avoir été confus car c'est l'impression qu'il percevait chez Génésia. Il toussota en se tournant vers son Archange. Aussitôt, Heyoan prit la parole :
- Dieu a créé le ciel, le vent, l'eau, le feu... Mais une fois que ces Eléments sont créés, ils peuvent fonctionner seuls, de manière aléatoire...
Heyoan s'en voulut d'avoir employé ce terme qui ne pouvait faire partie du vocabulaire déjà riche de cette âme. Il se corrigea :
- C'est par les mouvements qui se conjuguent entre le vent, l'espace et l'eau que les pluies naissent. Ce n'est pas parce que Dieu a voulu qu'il pleuve sur cette partie du glob... euh, de la Terre, à ce moment - là, tu comprends ?
Orsia, l'Ange, crut bon d'ajouter que ce n'était pas non plus parce que les Anges faisaient pipi mais il se retint juste à temps.
- Quel rapport avec mon fils et moi ? insista Génésia.
Heyoan conclut :
- Tu avais le choix. Tu pouvais décider que c'était trop dur de quitter ta vie et tu continuais à priver ton fils de son essence, ou tu acceptais ce qui t'arrivait et tu lâchais prise... C'est la deuxième solution que tu as choisie. En libérant ton fils de ton attachement, tu t'es libérée toi - même.
- C'est pourquoi tu es devant moi, précisa Dieu.
- J'ai choisi de me présenter devant toi ? demanda - t - elle.
- Non, cela, c'est moi qui l'ai voulu. En réalité, chaque fois qu'un être humain fait un pas dans le sens de son autonomie, il gagne en conscience. Cela lui permet de me rencontrer avec plus de sérénité...
Dieu et ses Anges se firent le plus discrets possible pour laisser à Génésia le temps d'assimiler tout ce qu'elle venait de découvrir. Alors, le désarroi s'empara d'elle. Dieu vint à son secours :
- Tu peux me poser d'autres questions, si tu veux...
- Comment suis - je ... morte ?
- Regarde ! Je vais te montrer...