Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mes contes, mes poèmes, mes calligraphies, mes dessins, mes peintures ( aquarelle, encre de Chine...), aïkido...

03 Jan

L'Accordeur de Silences - de Mia COUTO (Mozambique)

Publié par Françoise Heyoan  - Catégories :  #Le plaisir de lire...

 

L'Accordeur de Silences

de Mia COUTO

Ed. Métailié

Traduit du portugais ( Mozambique) par Elisabeth Monterro Rodrigues

 

 

C'est le titre qui m'a attirée, tout d'abord. Je me sens très concernée par tout ce qui évoque la musique, et par conséquent, le silence... Les silences, devrais-je dire ?... Lorsque j'ai constaté que l'auteur était Africain, la lecture de ce livre m'a encore plus tentée...

 

 

Je dois dire que j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire, car il s'agit vraiment d'accepter de perdre ses propres repères pour pénétrer dans un univers fantasmagorique, celui de l'esprit du père et, dans une certaine mesure, du fils... Une prière ? Pas à proprement parler, même si on découvre assez tard que le père aime avant tout chanter ( à l'église), et qu'il s'en est privé ( entre autres choses !...) pendant toutes ces années.

 

 

En fait, tout se passe comme si la culpabilité le clouait à la croix du Christ qu'il prend soin de mettre en place dès leur arrivée à Jesusalem, « hors du monde », où Dieu, si toutefois il le souhaitait, serait le bienvenu... L'énorme culpabilité, l'absence, la saudade ( deuil) qu'il n'arrive pas à faire, entraînent son esprit, celui de ses enfants - mais le sont-ils réellement ? - ainsi que son aide de camp ( un ancien militaire qui lui reste fidèle) à quitter le monde pour un vague campement très loin, dans la brousse, là où « l'Autre Côté » ne pourra plus, en aucun cas, les atteindre.

 

 

Seul l'oncle Aproximado, rebaptisé – débaptisé - comme lui-même et son fils aîné, ainsi que l'aide de camp, pour la circonstance, seul l'oncle a encore le droit de les approcher, et de les ravitailler. Le beau-frère boiteux tente de ramener le tyran à la raison, mais rien n'y fait. Il apporte à ses neveux l'air frais de l'extérieur, mais se soumet néanmoins aux normes sévères et folles imposées par leur père. Il leur confie : Qui veut l'éternité regarde le ciel, qui veut l'instant regarde le nuage...

 

 

Bien que le père leur impose la cérémonie du débaptême, son plus jeune fils gardera son nom : Mwanito, car il est encore en train de naître...( Mwana enchissena, langue du centre du Mozambique, signifie garçon).

 

 

C'est dans ce monde sans passé, sans femme, sans culture, cerné par les exigences du père parfois violent envers l'aîné, que le plus jeune grandit, sans aucun souvenir de l'existence d'un autre monde... Il est pour son père, l'accordeur de silences, comme il le raconte :

Je suis né pour me taire. Le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences.( …) Chaque silence est une musique en gestation. Et plus loin : C'était dans mon silence que mon père érigeait sa cathédrale.

En effet, le père fuit le bruit de ses souvenirs infernaux et s'apaise dès que son fils se tait près de lui. Lorsqu'un désévenement a lieu dans leur trou perdu, le père réclame son fils pour accorder ses silences, mais Mwanito soupçonne désormais son père d'être pour quelque chose dans la mort de sa mère, et … Le silence est une traversée. Un bagage est nécessaire pour oser ce voyage. A ce moment-là, [ mon père] était vide. Et moi débordant de douleur et de soupçon. Comment pouvais-je ciseler un silence avec autant de bourdonnements dans ma tête ?

 

 

Le père séquestre en quelque sorte les quatre personnes ( dont lui-même) qu'il a entraînées loin du monde, et leur interdit tout lien avec le passé ou avec tout autre lieu. Dans ce cadre restrictif, la soif d'apprendre de Mwanito, le jeune narrateur, sera étanchée en partie grâce à son frère aîné, qui lui, a la chance de se souvenir de leur mère, de la ville, et qui lui permet d'oser de nouvelles expériences : celle de plonger dans le fleuve, celle d'apprendre à lire et à écrire... malgré l'interdit. Après avoir plongé pour la première fois dans le fleuve, l'enfant s'extasie : C'est si beau ( …), on croirait des étoiles liquides, si joliment diurnes.

 

Chaque fois qu'il s'exerce à la lecture, [il] ne [ lit] pas, [ il chante], redoublant de désobéissance. Alors qu'il s'inquiète d'être pris, son frère le rassure : C'est de l'ignorance que tu dois avoir peur. En l'absence de papier, l'aîné lui donne un vieux jeu de cartes sur lequel il s'entraîne à écrire. Lorsque le jeu est fini, le grand frère va prendre sous le lit de leur père, dans une boîte, des billets de banque pour que le petit puisse continuer à écrire.

 

 

Lorsque Mwanito veut savoir à quoi ressemble un grand-père, il lui explique d'abord à quoi ressemble un livre :Imagine des cartes de la taille d'une main. Un livre est un jeu composé de ces cartes toutes collées sur un même côté. Puis : Caresse un livre comme ça, tu sauras comment c'est, un grand-père.

 

 

Toute la question de ce livre est que les personnages vivent dans un immense mensonge, le monde fabriqué de toutes pièces par le père. En fait, tous les personnages mentent. Par omission. Par besoin de protection. Et c'est une femme qui exorcise ce terrible secret : Chacun de nous a été un mensonge, mais tous les deux, nous avons été vrais. Tu comprends Mwanito ?

Elle utilise sa carte de discréditpour payer un voyant qui ne lui apprend rien sur l'objet de sa quête.

 

 

La femme dit qu'elle est venu jusqu'à eux pour photographier le vol des hérons. Alors qu'enfin, ils peuvent quitter ce lieu de séquestration, Mwanito remarque les hérons : J'eus alors l'idée de photographier ces vols végétaux. Étrange envie : pour la première fois, il ne me suffisait plus de voir le monde. Je voulais maintenant voir la façon dont je le regardais.

 

Elle lui écrit une première explication : Finalement, ton père n'est pas seulement étrange et Jésusalem un aléa de sa folie. Pour [ lui], le passé était une maladie et les souvenirs un châtiment. Il voulait habiter dans l'oubli. Il voulait vivre loin de la culpabilité. Et elle conclut : Où que j'aille, je ne trouverai pas d'espace suffisant pour ombrager le vol des hérons.

 

 

Quand la langue est à ce point mise en relief, je ne regrette qu'une chose, ne pas pouvoir la découvrir, m'en délecter, dans sa version originale... J'ai suivi le fil narrateur de ce récit avec un réel étonnement, par les yeux de Mwanito que tout surprend, qui apprend le dessous des choses toujours après les autres, qui se sent toujours déconcerté... Mwanito, qui ne choisit pas vraiment sa route mais accepte celle que les autres tracent pour lui, avec crainte souvent, avec émerveillement parfois... Un vrai suspens se dessine au fil des pages et même lorsqu'on le croit enfin levé, il n'est pas tout à fait résolu. Pour cela, il faut attendre la toute fin de l'histoire.

Un saut vertigineux dans un autre continent, un autre monde, une autre vie, une autre perception...

 

 

03/01/13

 

 

Commenter cet article

À propos

Mes contes, mes poèmes, mes calligraphies, mes dessins, mes peintures ( aquarelle, encre de Chine...), aïkido...