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Mes contes, mes poèmes, mes calligraphies, mes dessins, mes peintures ( aquarelle, encre de Chine...), aïkido...

28 Apr

Régalez-vous ! 4. Cuivre

Publié par Françoise Heyoan  - Catégories :  #Contes

 

Gaïa s'était dissimulée sans bruit derrière le tas de bois de chauffage dès qu'elle avait senti une autre présence. Olwen, le fils de la maison, se retourna et se figea un instant. Ce qu'il vit n'était autre qu'un cavalier sans monture. Il se demanda brièvement quel sortilège se jouait de lui, mais il revint sur terre et avança de deux pas pour s'adresser à l'homme qui lui, paraissait bien réel :

- Messire...

- Bonjour l'ami ! Auriez-vous vu une jeune femme de belle condition ces temps derniers ? Je la cherche depuis quelques jours, elle a disparu et pourrait se trouver en fâcheuse posture...

Les pupilles du jeune homme agrandirent leur cercle immense, mais par un instinct inexplicable, il préféra taire la présence de Gaïa sous son toit, en priant le Ciel pour qu'elle ne s'avisât point de se montrer à l'improviste :

- Nenni, mon sire. J'en aurais forcément ouï parler, vu que je vais au marché deux fois la semaine, et ici-même, nous n'avons personne vu depuis des lunes.

Là, en son cœur, il pria la Lune de Cuivre de conférer la même méfiance vis-à-vis du visiteur aux autres membres de sa famille, pour que, s'il lui venait la fantaisie d'interroger quelqu'un d'autre avant de s'éloigner, personne ne lui apprenne la vérité. L'homme, dans sa déception, parut tout à coup dix ans de plus. Olwen eut un bref instant pitié de lui, mais choisit de garder le silence. Le cavalier reprit :

- Si elle venait à vous demander l'hospitalité, faites-le moi savoir. Je suis pour quelques temps encore à l'auberge du village...

Olwen hocha la tête, tout en pensant qu'il pouvait toujours rentrer bredouille ! Peu lui en chalait !... D'ailleurs, il ne savait pas ce que l'inconnu lui voulait réellement, à la jeune fille et il n'était pas question de la lui livrer, tel un mets de roi...Le cavalier, saisi d'un dernier espoir, fit volte-face :

- Si par chance tu la retrouvais, je te donnerais une pleine bourse pour ta peine et celle de ta famille...

 

 

Le cavalier sur sa monture invisible disparut derrière le tournant du sentier qui menait à la ferme, qu'Olwen n'avait toujours pas bougé, et Gaïa, dans sa cachette, non plus. Elle ne savait pas pour quelles raisons il n'avait pas révélé sa présence ici, ni désormais si l'attrait de la promesse d'argent risquait de le faire changer d'avis. Elle-même ne savait plus très bien si elle devait s'expliquer avec le Cavalier-sans-Cheval pour tenter de comprendre toute cette histoire, ou si elle devait tout simplement laisser parler son cœur. Elle décida d'en découdre déjà avec Olwen, pour savoir ce qu'il avait dans le ventre... Elle sortit de sa cachette, ce qui le fit sursauter. Elle ne put empêcher un léger rire de fuser et se lança :

- C'est moi, Olwen. Je te remercie de m'avoir protégée par ton silence...

Elle parlait à voix basse, comme si elle craignait encore qu'on l'entende, et sa voix était comme une douce mélodie. Olwen en fut profondément troublé.

- Je vous en prie, Madame, vous êtes notre hôte, il est normal que...

- S'il-vous-plaît, plus de madame entre nous... Dites-moi tout de bon ce que vous pensez de l'offre du cavalier ?...

Le jeune homme haussa les épaules :

- Je ne mange pas de ce pain-là ! Mais le connaissez-vous ?

Gaïa décida par devers elle qu'elle pouvait lui faire confiance ; de toute manière, c'est le premier sentiment qu'il lui avait inspiré :

- Oui, c'est lui qui m'a amenée dans votre pays. Mais je ne sais rien de lui, je ne sais si je dois m'en méfier ou compter sur lui pour éclaircir tous les mystères qui obscurcissent ma nuit...

Olwen lui tendit l'outil pour tailler les haies qu'elle saisit et percha en équilibre sur son épaule. Tandis qu'il emmenait la brouette remplie à ras-bord de tous les ustensiles dont il aurait besoin pour faire la tournée des clôtures, elle lui emboîta le pas, tout en continuant à deviser avec lui.

 

 

 

Le Cavalier avait lancé sa monture irréelle au galop pour apaiser sa rage. Il était sûr que le jeune homme lui dissimulait quelque chose, mais comment faire avouer une telle tête de mule ? Il devait retourner à la ferme ! Sans doute quelqu'un de moins malin pourrait vendre la mèche... Il était sûr que le terme de ses recherches menait à cette bâtisse. On était en pleine Lune de Cuivre. C'était le moment pour lui de ramener la jeune Reine à la raison et à sa famille, et à l'avenir, il ne la laisserait plus filer comme un bleu ! Il avait interrogé tous les foyers du village et des hameaux alentour. C'était le dernier, et alors qu'il n'avait décelé aucune feinte dans les réponses des manants jusqu'à présent, il savait que le jeune homme mentait. Il ignorait pourquoi, mais il mentait.

 

 

Olwen et Gaïa ne revinrent qu'à la nuit tombante. La Lune de Cuivre assombrissait déjà le sentier. Ils ne parlaient plus. La complicité entre eux était désormais totale, et ils pouvaient se passer de mots. D'ailleurs, elle l'avait aidé à planter de nouveaux piquets, à tendre de nouveaux fils, à passer les ruisseaux avec sa brouette, et ils étaient tous deux fourbus. Ils avaient partagé des mets dignes d'une table royale dans leur simplicité, près d'une source, dans le Grand Bois du Geai. Là, ils s'étaient d'abord dévoré des yeux avant de savourer chaque parcelle de leur peau fruitée. Ils posèrent la brouette telle quelle à l'entrée de la grange, abritèrent leurs sabots dans l'étroite entrée de la demeure, et avaient poussé la porte en riant d'une bêtise, et dans leur rire, on entendait leur lassitude et leur bonheur mêlés. Ils restèrent interdits sur le seuil. Le cavalier les attendait, attablé gaiement avec toute la famille...

 

La peste soit de cette monture invisible ! songèrent sans se concerter les deux jeunes gens. Ils n'avaient pu deviner la présence de l'homme puisqu'aucune bête ne semblait l'attendre dans la cour !... Ils étaient déjà prêts à s'enfuir mais le cavalier, toujours avec un léger temps de retard sur la jeune femme, se leva et cria :

- Gaïa ! Je suis de votre côté !... Écoutez-moi !

 

 

La jeune femme échangea un regard appuyé avec Olwen, puis se tourna vers l'homme :

- Je ne sais pas si vous êtes de mon côté, Monsieur ! Vous me donnez toutes les apparences du manipulateur en me laissant dans l'ignorance de mon sort, et je ne tolère pas d'être ainsi traitée...

Le ton de la jeune Reine revenait à toute allure, et toute l'assistance fut saisie de sa nouvelle autorité, qui ne pouvait que soumettre le vassal auquel elle s'adressait. Cette fois, ce furent le fils et la mère qui échangèrent un regard lourd de sous-entendus. Chacun devina que l'autre savait tout ce qu'il y avait à savoir sur leur jeune hôtesse, ou presque... Olwen dissimula un sourire en baissant la tête, tandis que sa mère détournait innocemment le regard. Soudain la proie d'une nouvelle nausée, la jeune femme courut dehors, alors que le fils et le cavalier se ruaient à sa suite. La mère, sachant parfaitement de quoi il retournait, se saisit d'une cuvette qu'elle alla remplir au chaudron sur le feu, tandis que le reste de la famille se remit à manger, non sans commenter à qui mieux mieux les événements !

 

 

Le cavalier avait pensé que la jeune femme s'enfuyait de nouveau, mais il se rassura en constatant qu'elle subissait les effets d'une autre maladie, et il recula de plusieurs pas, dégoûté. Il se rappela qu'elle attendait un enfant, et avec un malin plaisir, s'informa :

- Le bébé va bien ?

Olwen le fusilla du regard. La jeune femme se remettait de la crise, tout doucement, assise sur les genoux du jeune homme. Elle ne vit pas la perfidie de la question :

- Très bien, merci.

Elle apaisa le jeune homme d'un regard, ce qui agaça profondément le cavalier. Après tout, c'était lui, le personnage important dans l'histoire. Toute la responsabilité pesait sur ses épaules, et il commençait à en avoir franchement assez des caprices de cette gamine !... Il allait la tancer vertement lorsqu'elle reprit :

- Et vous, monsieur, avez-vous apprécié ce moment sans ma présence qui vous est un fardeau, n'est-ce pas ?

Elle rit, sous la fausse lumière de la Lune de Cuivre, et ne put cesser. Son compagnon la rejoignit dans son accès d'hilarité, alors que la mère ouvrait la porte pour apporter l'eau et que le reste de la famille,attiré par leurs rires, arriva sur ses talons. Ils furent tous gagnés par ce fou-rire, tandis que le cavalier tentait de rester digne dans toute sa roideur. La jeune femme, elle, avait beaucoup apprécié de lui fausser compagnie, et de lui mener ainsi la dragée haute. Et elle appréciait surtout la nouvelle vie qui s'offrait à elle, ici-même... Il était hors de question qu'il l'en arrachât, sous quelque prétexte que ce fût...

 

 

Le cavalier prévoyait des difficultés bien plus corsées qu'il ne s'y attendait pour obliger la donzelle à le suivre dès demain. Mais il s'y emploierait de toute son âme. Il y allait de sa vie.

 

 

 

 

 

28/04/12

 

 

 

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